Brompton, c'est d'abord l'histoire d'Andrew Richie, un Britannique qui, ayant conçu un vélo pliant dans les années 70, cherche quelqu'un pour le fabriquer en série. Ne trouvant personne, il décide de s'en charger lui-même. L'histoire de la marque est riche en péripéties et rebondissements divers.
Au début des années 80, l'idée d'un vélo pliant, si elle est séduisante, reste futuriste et les investisseurs hésitent à tenter l'aventure. Il faut attendre les années 90 pour voir la plupart des obstacles industriels et financiers aplanis, et la courbe des ventes décoller.
Les difficultés du début ont forgé la philosophie de l'entreprise. En effet, dès lors qu'il ne trouve pas sur le marché le composant qui lui convient, Andrew le conçoit et le fabrique lui-même, pour que le résultat corresponde exactement au cahier des charges de son vélo.
Cette démarche est appliquée à tous les composants, ce qui fait qu'actuellement, plus des deux tiers des 1200 pièces d'un vélo Brompton sont propres à la marque.
De cette indépendance imposée par les circonstances initiales, Brompton a tiré et entretenu un savoir-faire unique. Dans les locaux de Lionel Road South, à Brentford, dans la banlieue de Londres, c'est le tour de main qui a de la valeur, plus que le matériel. Andrew Ritchie, s'il a quitté la tête de l'entreprise, reste directeur technique et garde un oeil vigilant sur la qualité de "ses" vélos.
Après un brin d'avion et un bout de taxi, la visite commence le matin sur les chapeaux de roues avec Will Butler-Adams, à la tête de Brompton depuis mai 2008. Il nous fait d'abord essayer deux modèles devant ses locaux. Après quelques photos, il nous entraîne ensuite dans une pièce un peu isolée du reste de la production, sous les bureaux. Dans un classeur, des dizaines de feuillets reprennent un par un chacun des composants du vélo et détaillent ses caractéristiques techniques. Sur des machines équipées d'instruments de mesure, les différents organes du vélo sont vérifiés, à raison d'une pièce sur cinquante environ.
Will rappelle que majorité les pièces sont spécifiques à la marque. Adéquation et qualité des composants sont deux points sur lesquels il insiste plusieurs fois. Il nous parle de cuisine : comme le chef goùte sa préparation tout au long de l'élaboration de son plat, les vélos sont contrôlés à de nombreuses reprises au cours de leur fabrication puis de leur assemblage. Il nous parle aussi de couture : le meilleur tailleur, c'est celui qui met tout son talent dans son travail, et le client dit simplement que son costume lui va à merveille, sans même savoir comment le tailleur a procédé. Chez Brompton, on ne travaille surtout pas sur ce que le client "pense qu'il veut", mais bien sur ce qui rendra le vélo meilleur. Du coup, plusieurs mois sont parfois nécessaires à la clientèle pour "digérer" une amélioration, mais cette stratégie a toujours payé. "La forme suit la fonction". C'est le rôle d'une pièce qui gouverne le travail des ingénieurs de chez Brompton, et non pas la quête du succès commercial.
Will enchaîne ensuite sur les écarts tolérés lors de l'assemblage des tubes. Les tolérances sont très basses, de l'ordre du dixième de millimètre, pour qu'après l'assemblage d'un vélo complet le cumul des marges d'erreur ne dépasse en aucun cas les deux millimètres. Le vélo doit rouler droit, se plier et se déplier sans mal, et ça pendant des années! Les machines-outils de Lionel Road South sont souvent modifiées "maison" pour pouvoir fabriquer exactement la pièce souhaitée. Par exemple, 18 mois ont été nécessaires pour mettre au point le châssis d'un outil qui maintient un élément de charnière pendant que la brasure le soude à son tube par capillarité. Chacune des charnières du vélo est ensuite testée deux fois. Encore une fois, Will nous le redit : 80% du savoir de Brompton est dans ce qui fait le vélo, les 20% restants étant sur le vélo.
Le message est martelé : le secret de Brompton, c'est le savoir-faire. Sur chacun des presque 25 000 vélos qui sortent désormais de la maison londonnienne chaque année, toutes les pièces vitales sont estampillées selon leur provenance, et chaque soudeur "signe" son ouvrage. Chaque vélo porte un numéro de série, comportant notamment une date et la référence de l'assembleur. Ainsi, toute erreur peut être tracée et corrigée.
Avec un sourire, Will termine en faisant remarquer combien l'atelier est petit (une vingtaine de mètres carrés seulement) pour une entreprise qui a déjà fabriqué 200 000 vélos. La qualité de fabrication contribue aussi à maintenir un coùt des opérations de garantie (5 ans sur le cadre et 2 ans sur les vélos)
Cette philosophie privilégiant la qualité intègre le succès commercial comme une conséquence de l'excellence du produit, et non comme une fin en soi. Du coup, les métiers du marketing n'ont fait leur entrée chez Brompton qu'une fois le XXIème siècle bien entamé. Katharine Horsman, Marketing Executive, qui a organisé notre visite, n'est là "que" depuis deux ans et demi. C'est avec elle que nous passons le reste de cette journée. Comme les 104 autres personnes travaillant actuellement chez Brompton, elle garde en tête ce souci de qualité qui sert d'âme à l'entreprise.
Depuis plus de trente ans, ces vélos sont "handmade in England". L'assemblage des éléments en titane, celui des roues et les peintures sont les seules opérations ayant lieu ailleurs, mais toujours au Royaume-Uni, sauf en ce qui concerne le titane : les triangles arrière proviennent de Russie, tandis que les fourches arrivent de Chine. Ces éléments ne sont assemblés avec le reste des composants qu'après avoir subi un contrôle : lors de notre visite, nous voyons une série de tubes repartir en Russie, faute d'avoir satisfait l'infaillible oeil britannique...
Will a insisté lourdement sur la qualité des soudures, de l'assemblage et du contrôle, et tous les gens que nous voyons ensuite travailler oeuvrent conformément à ses dires. La valeur ajoutée ici, c'est la qualité du travail fait à la main par des gens compétents qui aiment ce qu'ils font. Le brasage notamment, est remarquable, et une finition "Raw Lacquer" laissant apparents l'acier et des soudures du cadre est même proposée. Ca en dit long sur la maîtrise de cet art chez Brompton
Après avoir passé les étapes du brasage, les éléments du cadre partent en peinture, pour deux semaines maximum. A leur retour, ils passent par l'un des quatre postes d'assemblage.
Au cours des trente derniers mois, l'organisation des lieux s'est transformée pour suivre l'accroissement de la production. L'étiquetage de tous les composants par code barre est en projet. C'est l'un des quatre assembleurs qui monte intégralement chaque vélo, lequel portera ses références. Quatre inspecteurs vérifient ensuite une centaine de points différents sur chacun d'entre eux, avant qu'il s'en aille vers l'un des 33 pays où la marque est distribuée.
Il n'y a pour ainsi dire pas de vélos en stock dans l'entrepôt, puisque la demande ne faiblit jamais. Katharine nous explique que durant la haute saison, le délai de fabrication d'un vélo peut théoriquement grimper jusqu'à douze semaines, car officiellement, chaque vélo est monté à la carte. Le client peut choisir le type de guidon, de transmission, d'équipement, de cadre... Ce qui donne une fois le choix finalisé un vélo quasiment unique. En pratique, un importateur s'engage sur une quantité de vélos, et il a jusqu'à deux semaines avant la date du début de fabrication pour modifier les caractéristiques des vélos commandés, selon la demande de ses revendeurs. La façon dont les distributeurs usent de cette possibilité est laissée à leur entière appréciation : Brompton n'intervient pas dans leurs relations avec les revendeurs
La Grande-Bretagne est le marché le plus important pour Brompton, qui y vend directement ses vélos aux détaillants. De la même façon, aux Etats-Unis, c'est un membre de l'équipe Brompton installé sur place qui s'adresse directement aux magasins. Ailleurs, il y a un distributeur (souvent un détaillant qui distribue Brompton depuis la première heure) qui traite avec les autres magasins
Fin 2006, 14 000 unités sont sorties de chez Brompton. L'année suivante, 18 000 vélos sont produits. Fin 2008, le chiffre s'élève à 22 500. Cette année, les 25 000 vélos seront probablement atteints. Les commandes affluent, les projets sont bien là même si la philosophie reste la même : la qualité de fabrication et la rigueur des contrôles ne doivent pas faiblir même si les volumes augmentent.
Le cadre sera peut-être encore amélioré à travers des modifications par petites touches. Les ingénieurs travaillant au design chez Brompton sont presque une dizaine! Mais son rendement comme sa compacité une fois plié sont déjà très aboutis. Ses périphériques immédiats sont pour les mêmes raisons tout aussi peu susceptibles de révolution. En revanche, tout ce qui gravite autour de ce vélo constitue un immense champ d'investigations pour Katharine. Elle annonce notamment des nouveautés dans les accessoires. La bagagerie va s'enrichir de deux nouvelles sacoches "de guidon" (en réalité fixées à l'avant du cadre), l'une étanche produite par Ortlieb pour les aventuriers, la seconde en cuir pour... Les vélotaffeurs. Brompton planche également sur une solution de transport plus rigide et plus protectrice pour le vélo que l'actuel B Bag. L'offre pour la monte pneumatique des vélos et l'intégration de dynamos au moyeu est aussi en train de changer. Quand on lui demande de nous parler de la concurrence, Katharine sourit et répond que le Brompton est tellement particulier, et ses qualités si originales, qu'il reste sans égal sur le marché du vélo pliant. C'est dit sans aucune vantardise, mais bien en s'appuyant sur les points forts du vélo. En outre, le site de la marque mentionne expressément 13 concurrents et incite tout acheteur éventuel à visiter leurs sites pour choisir en connaissance de cause, démarche étonnante et plutôt rare...
Quand La Jobe a demandé ce que nous pouvions photographier, Will a répondu que nous avions carte blanche, car les secrets de Brompton sont dans le savoir-faire, qui ne peut se révéler à l'image. On ne se l'est pas fait répéter deux fois. Peintures persos, boissons énergétiques, insectes génétiquement modifiés et même électricité statique, on a pu tout voir. En Grande-Bretagne, il y a de l'accueil.
En plus de (ou grâce à?) cet excellent compromis entre encombrent et comportement dynamique, il y a autour du Brompton un capital sympathie unique dans l'univers du vélo pliant. La démonstration la plus parlante de cet engouement est le Brompton World Championship, qui regroupe 600 participants venus du monde entier pour une folle journée de course. Cravate et chemise et casque obligatoires, et cuissards... Interdits. Une vidéo sur cet évènement loufoque, et plein d'autres infos sérieuses sur http://www.brompton.co.uk
A la question "Quels vélos peuvent accéder par trois à l'intérieur d'un pub le temps d'une bière et d'un fish and chips?", vous devinez la réponse...
Les qualités réelles et connues du Brompton sont dues à sa fabrication irréprochable. A l'issue de cette visite, on comprend encore mieux le succès de ce vélo si attachant.
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